Fais pas ci, fait pas ça !
Fais pas ci, fait pas ça ! Une chanson pleine d'humour
et de fantaisie mais jamais superficielle, comme toutes celles de l'ami Jacques
Dutronc qui nous accompagne depuis tant d'années. Avec cette chanson, presque
une comptine, je ne peux m'empêcher de
vous livrer cette petite anecdote qui me revient spontanément car elle est
devenue légendaire dans la famille :
« Marc-mets-ton-bonnet ! » répétait si souvent notre amie
à son jeune rejeton de trois ou quatre ans.
Aujourd'hui, Marc a
plus de 50 ans, j'ignore s’il porte régulièrement un bonnet et s'il obéit
toujours à l'ancienne consigne, mais cet amical surnom de sa maman a perduré au
fil des années…
Tout
ceci pour dire combien ces injonctions nous
poursuivent…. Pour moi, petite, c'était « Tiens-toi droite ! ». Il y
avait aussi : « Mange, avale » alors que les fils des haricots
formaient des pelotes dans ma bouche et que passer à table était un
calvaire
immuablement répété. Et le terrorisant « Range tes jouets", alors que
malgré
tous mes efforts, le résultat n'était jamais à la hauteur escomptée, mon
idée
de l'ordre devait différer sensiblement de celle de ma mère….
Pour un enfant du voisinage que nous connaissions bien, c'était : « Plus tard, tu balayeras
la rue ! ». Ce qui, pour des parents remplis de tant d'espoirs pour
leur progéniture, devait impliquer le rejet absolu des zéros et de tout pâtés à
l'encre violette sur le cahier. Mais voilà,
les choses ne se passent pas toujours comme elles devraient.
Balayer la rue ! C'était précisément le métier qui pouvait faire rêver l'enfant. Un métier où
la nature et la poésie auraient toute leur place, un vrai métier utile à ses
concitoyens. « les feuilles mortes
se ramassent à la pelle » chantait à l'époque Yves Montand de sa voie chaude
et douce. Et même, sur une belle image colorée cachée au fond de son tiroir, un
vieux bonhomme balayait les nuages pour l'arrivée de saint Nicolas. Pourquoi
pas ? Question avenir, l'enfant n'avait qu’une seule certitude, il ne
travaillerait pas enfermé dans un bureau, ça
jamais.
Des gens dans des bureaux, justement, il en
connaissait : des cousins, des amis de ses parents, il était même allé les
voir, dans leur fameux bureau, les jours
où la maîtresse avait conférence pédagogique, ou certains lundis matin, lorsque
l'école devait rester fermée pour être désinfectée des mille et un miasmes semés
la veille sans aucun doute par la foule qui s'était pressée aux urnes. C'est
que l'on votait fort à cette époque !
Donc à la question sempiternellement posée de son avenir, l'enfant n'osait pas avouer qu'il voulait justement
balayer la rue ! Faire joliment voler les feuilles multicolores
de l'automne au bout de son balais ; l'hiver aménager les longs chemins enneigés
qui montaient vers les fermes isolées
pour permettre au facteur d'effectuer sa tournée, et pourquoi pas, installer
parfois un beau bonhomme de neige au carrefour des Quatre routes, avec carotte
et vieux chapeau, on en trouvait toujours, juste pour décorer et qui ne fondrait pas dès
le premier rayon du soleil. Il ne plaindrait pas son temps ! Avec lui, à
chaque saison, le village serait beau. Il connaissait bien le cantonnier
actuel, il l'accompagnait souvent sur le chemin au retour de l'école et il l'aimait
beaucoup.
Mais que fallait-il donc pour réaliser son rêve ?
Une seule consigne, surtout ne pas bien travailler à l'école, c'était la clef. Le malheur dans son cas, c'est qu'il était plutôt bon élève. Les quatre opérations n'étaient tout de même pas si compliquées et les poésies qu'il fallait connaître par cœur l'enchantaient le plus souvent. « Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne, » il adorait. Une seule lecture lui avait suffit pour connaître sans omettre une seule virgule, le cheminement nostalgique du vieux père Hugo.
Une seule consigne, surtout ne pas bien travailler à l'école, c'était la clef. Le malheur dans son cas, c'est qu'il était plutôt bon élève. Les quatre opérations n'étaient tout de même pas si compliquées et les poésies qu'il fallait connaître par cœur l'enchantaient le plus souvent. « Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne, » il adorait. Une seule lecture lui avait suffit pour connaître sans omettre une seule virgule, le cheminement nostalgique du vieux père Hugo.
Le lendemain matin, sur l'estrade : « Demain, dès
l'aube… » silence de l'enfant. « A l'heure… » souffle la maîtresse, « A l'heure… »
répète l'enfant devenu muet. La maîtresse est déconcertée, son meilleur élève. Impossible d'imaginer que l'enfant, cet
enfant là, puisse ignorer cette poésie tellement sensible pour lui. Mystère.
Aujourd'hui certainement, une batterie de psycho-ceci, psycho-cela
se bousculerait pour examiner le délinquant et qui sait, peut-être démontrer la
supercherie. Mais dieu merci à cette époque,
rien de semblable hormis la perplexité de la maîtresse devant ce poète
rêveur en herbe, et bien sûr le
désespoir des parents : « Que va-t-on faire de toi mon pauvre
petit ? Tu ne seras bon qu'à balayer la rue ! ».
A l'extérieur, l'enfant montrait la figure du désespoir, il
fallait tenir bon, l'affaire était loin d'être gagnée, mais tout au fond de
lui, son cœur vagabondait déjà : du jardin du monument aux morts à
l'espace du champs de foire, puis vers les allées fleuries du petit cimetière qu'il
entretiendrait avec tout l'amour des ancêtres qui reposent là paisiblement. Ce
n'est pas lui qui irait bétonner ! Lorsqu’il serait grand, lorsqu’il
serait enfin grand, le cancre éclairerait de son travail les rues et les mille
kilomètres de chemins creux de son village. Et la cour de la mairie, et
l'office du tourisme… Son village sera
le plus beau des villages, et tout cela grâce à la prédiction d’une bonne fée
cachée au fond du cœur de sa maman. Car comme chacun le sait depuis la nuit des
temps : les mamans savent toujours
ce qui est bon pour leurs enfants !
Appendice.
Aujourd'hui l'enfant
est devenu grand. Il n'est jamais devenu le cantonnier de son village, les
forces à l'œuvre conjuguées de l'école et de sa maman ont eu raison de ce projet bucolique. Toutefois, malgré tout
fidèle à son inspiration, il est devenu
jardinier. Un grand jardinier. Sorti
d'une belle école. Mais comble de la désolation,
il travaille dans un bureau ! Derrière son ordinateur, il dirige une armée de
jeunes jardiniers qui chacun œuvrent
modestement à la beauté des plus
somptueux jardins du pays, ceux-là même qui peut-être il n'y a pas si longtemps encore
s'entendaient à leur tour rabâcher « plus tard tu balayeras la rue mon
fils ! ».
Il les regarde, il les envie, son imaginaire vagabonde
encore et souvent le soir, lorsque la foule déserte les allées, ou à l'heure de
la rosée, il s'en va revivre son rêve et peut-être à son tour former des vœux pour l'avenir de ses enfants.
Simone, Février 2020
Simone, Février 2020
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